Touraine 1930

« Je me souviens d’un curé enseignant l’évangile et touchant les cœurs, 

Je me souviens de cette foule immense qui me regardait m’élever doucement à la force des bras paysans,

Je me souviens des fils qui partaient au front, me saluant d’une dernière main au chapeau

Je me souviens de ceux qui revinrent un jour, trop peu hélas 

Et je me souviens alors de ces yeux qui me regardaient mais ne me voyaient plus.

Je me souviens d’une ombre parfaitement symétrique que dessinait le soleil couchant,

Je me souviens de ces passants qui se signaient et me respectaient

Je me souviens de ces fleurs déposées et que le vent emportait.

C’est alors que je me sentis seule d’un coup, abandonnée au bon vouloir d’une nature envahissante. De temps en temps, une main dure et calleuse venait détacher le lierre. Puis plus rien. La main n’est plus venue.

Finis les curés, les foules à mes pieds et cette ombre symétrique qui me plaisait tant puisqu’elle multipliait ma silhouette. J’étouffais silencieusement.

Mais une après-midi d’automne, je sentis d’un coup des liens arrachés et mes pierres se libérer d’un joug trop longtemps supporté. Ne le savais-je point ? L’espoir est dans la jeunesse. Cette jeunesse de France que j’aime tant ! Et c’est elle qui est venue me soigner, me préparer et me rendre cette ombre sculptée qui n’était que souvenir. »